Foi et et pouvoir en Haïti : Les échecs des tentatives de sauvetage spirituel

L’Énigme du Pasteur Marco

J’évite tout commentaire qui placerait au cœur de nos préoccupations l’acte le plus banal, dépourvu du bon sens le plus élémentaire, comme une action de résistance. La folie court les rues en Haïti. La réaction du pasteur Marco (est-il véritablement pasteur ?) trouve son fondement dans la réalité d’une société livrée à elle-même. Pour comprendre l’essence de ses actions, il faut analyser son univers et retracer l’histoire de son pastorat. Le pire serait de juger une personne sans prendre en compte son cadre de référence. En effet, le cadre d’intervention du pasteur diffère de notre conception ou représentation habituelle de la réalité.

La posture du pasteur, au-delà de son idéalisme, est lourde de sens car elle s’oriente vers une vision pragmatique dans le domaine religieux. Le pasteur cherche à assumer sa responsabilité face aux maux qui rongent le pays, mettant en lumière l’irresponsabilité de l’État. Cela soulève la question de la nature profondément politique du religieux. En d’autres termes, le religieux pense que l’autorité de l’État ne peut être légitime qu’en se référant au Dieu Tout-Puissant. Cette perspective conduit à une confusion quant à la nature véritable et à la finalité du pouvoir. Est-il judicieux de confier le pouvoir politique au religieux ? César et Dieu perçoivent-ils la vie et ses finalités de la même manière ? Partagent-ils une vision éthique de la politique à la manière d’Aristote ? Peut-on réellement compter sur les religieux pour résoudre les problèmes d’Haïti ?

La confrontation des mondes : spirituel vs materiel

Mon intention n’est pas de répondre à ces questions, mais plutôt de mettre en évidence que la difficulté croissante de résoudre le mal en Haïti engendre des conflits de tous ordres : choix des dirigeants, visions divergentes, projets politiques, et divisions territoriales. Le mal, conçu comme problème fondamental à la manière d’Edlyn Dorismond, repose sur la façon dont on envisage la notion de communauté ou comment on la construit. En Haïti, la notion de communauté n’implique pas simplement une vision collective, mais une vision singulière de cette collectivité où tous les individus s’allient autour d’une mission de sauvetage particulière. Nous ne faisons que produire des sauveurs. Que ce soit en politique ou ailleurs, ces sauveurs semblent détenir tous les pouvoirs sauf celui de tout transformer véritablement. La réalité les démasque, et pourtant, aucune leçon n’est retenue.

À chaque sauveur succède un sauveur encore plus grand. Si Gregory a réussi à mobiliser des milliers de personnes pour diffuser son message et aspire à se positionner comme sauveur, Marco, lui, tente d’être plus pragmatique, usant d’un pouvoir imaginaire pour défier la réalité – une réalité qu’il ne maîtrise pas et qu’il ne parvient pas à appréhender pleinement dans son humanité. Cherubin, quant à lui, ne peut comprendre la réalité haïtienne car il vit en marge de cette réalité, incapable de saisir ce qui est étranger à son monde. Grégory, de son côté, a une vision à long terme, soutenue par un plan bien élaboré, ce qui lui donne le pouvoir d’intervenir dans la réalité, démystifiant ainsi les héros. La pensée démystifiante de Grégory est à la fois sa force et sa faiblesse. Elle est puissante parce qu’elle se présente comme le message du Tout-Puissant, bien que ce message ne convainque pas la majorité. Pour beaucoup de chrétiens, la substance même du message importe peu; leur foi réside dans le messager lui-même.

Les masques de la croyance et l’influence du charlatanisme

Ce que présente Marco n’est pas anodin. C’est le fruit d’une mise en scène soigneusement élaborée, soutenue par un pouvoir qu’il prétend détenir. L’analyse de courtes vidéos du pasteur sur TikTok pourrait laisser penser qu’un pouvoir divin lui a été conféré, lui permettant de transformer les chrétiens en un « peuple du bonheur ». Monsieur Marco prétend avoir guéri des malades et désenvoûté des milliers de chrétiens, des actes qui méritent d’être questionnés. Ce charlatanisme prospère en Haïti à cause de plusieurs facteurs : le niveau d’éducation de la population, la naïveté politique, l’irresponsabilité de l’État, et la foi profonde du peuple en diverses divinités. Comme le souligne Dorvilier, la pensée magico-symbolique est prédominante en Haïti. Et dans un tel contexte, l’excellence est difficilement atteignable.

Le pasteur Marco fait ce qu’il croit être son travail, mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Sa mission est à redéfinir.

Il n’est pas si différent de nos politiciens ; seule leur sphère d’action varie. Cette observation illustre la nature du mal qui nous consume. Nous créons constamment de nouveaux « sauveurs », et l’État délaisse son rôle primordial. Les relations personnelles priment sur l’institutionnel, amplifiant la portée de la mission salvatrice. Le mal qui nous dévore est si enraciné qu’aucune catastrophe ne nous incite à remettre en question les choix de nos soi-disant sauveurs. Au contraire, cela nous pousse à nous tourner vers d’autres avec une confiance aveugle. En Haïti, la remise en question est rare. On a tendance à critiquer après coup. Le danger nous guettait, pourtant, aucune initiative au plus haut niveau de l’État n’a été prise pour l’anticiper.

Réflexions sur la stratégie du pasteur et l’engagement chrétien

Les Haïtiens ont une prédilection pour les prestidigitateurs. Ces derniers prédisent l’avenir sans avoir la moindre idée de ce qui serait réellement bénéfique pour Haïti. Leur discours se focalise souvent sur le malheur. Ce qu’on envisage comme étant positif n’entre pas dans le champ de leurs prestidigitations. En réalité, ils exacerbent nos angoisses, nous rappelant constamment notre mortalité et les tribulations de la vie quotidienne. Pasteur Marco avait décidé de mettre sa foi à l’épreuve. En Haïti, la foi est mise à rude épreuve. Ce qui parvient à s’ancrer est souvent la chasse gardée des gangs, le reste étant sous l’influence de la communauté internationale. Ces deux entités, agissant souvent en synergie ou en connivence avec les politiciens, sont la source de notre désarroi.

La démarche du pasteur m’évoque la question des rapports de force, d’intelligence et de stratégies. Il n’a pas pris le temps nécessaire pour analyser les dynamiques de pouvoir, de force, et les stratégies inhérentes à la tâche ardue de déloger des bandits. Il s’illusionne en pensant que ces dynamiques sont simplement le reflet des interactions quotidiennes des hommes, et non des forces éphémères qui sillonnent la terre. Fort de ce qu’il croit être le pouvoir de Dieu, il se désintéresse de la réalité du monde matériel. C’est ce qui explique en partie l’échec de la tentative de déloger les gangs de Canaan sous l’égide du pasteur Chérubin. Ce n’est pas tant que le pasteur est mal intentionné ; il a simplement échoué à comprendre les esprits et le timing de leurs interventions. De même, les chrétiens ont tendance à oublier leur ancrage dans le monde matériel. Emportés par le monde spirituel, ils cherchent à influencer le monde tangible tout en négligeant sa réalité intrinsèque. Ceci éclaire en partie les événements du 26 août 2023. Et Ariel demeure silencieux…

 

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