La starification politique :  déni de la politique, le peuple contre son destin politique

Starisation politique en haiti (1)
Photo par Randy Fath on Unsplash

Depuis 2011, la starification[1] politique devient incontournable pour comprendre la politique en Haïti, comprise à la fois comme détention et la jouissance du pouvoir. Cette forme de politique va à l’encontre de la politique dans son essence. En disant politique, il revient à comprendre la distribution des places. Cela ne nuit pas l’opposition de Rancière entre la politique et la police ; la politique et le politique chez Castoriadis qui saisit le politique comme condition du gouvernement et la politique comme remise en question du politique. À mon sens, nous ne sommes pas là. Ce qui m’intéresse, c’est la politique. La politique saisit dans son rapport au quotidien. La politique comme la mise en scène des acteurs en vue d’une finalité. J’analyse la politique dans une logique de finalité. Cette finalité n’est pas indépendante toutefois du processus mis en place pour y arriver. Tout ceci, pour dire en Haïti, il y a une mise en scène de la politique qui nous met en garde contre presque tout à l’exception de l’impunité, de la corruption, de la misère et de la pauvreté. La mise en scène de la politique se fait contre la masse ou le peuple. Autrement dit, le peuple se laisse emporter par le jeu politique et se détruit de ce fait de lui-même. L’accession de Michel Martelly au pouvoir en 2011, a ouvert la voie à la starification. Puis, ont suivi Don Kato, le sénateur Zokiki, Jean Mary Salomon et Onondieu Louis. Cette mise en scène se fait de trois (3) manières : la construction d’une figure artistique contre les élites intellectuelles, l’utilisation du service public comme manœuvre pour accéder au pouvoir et enfin par une opposition au pouvoir en présentant un programme de sauvetage sans essence. Le dernier cas de starification n’est autre que Muscadin, figure d’émergence. C’est ce qui nous invite à parler de “Le phénomène Muscadin[2]”. Comment peut-on comprendre cette question en considérant les circonstances qui lui donnent naissance ? Comment la société doit prendre en charge ce phénomène pour conjurer le mal que sous-entend cette posture ? ou Comment prétendre à un devenir Muscadin ?

La starification : construction politique contre les élites en Haïti

La sortie de la dictature des Duvalier ne garantit pas une entrée en démocratie. La démocratie se dirige vers nous sous forme d’un discours creux. Consacrer des dispositions constitutionnelles en vue d’établir un régime démocratique ne signifie pas être démocratique. A vrai dire, on n’est jamais démocratique car la démocratie est une traversée. C’est un voyage. On tend toujours vers la démocratie. Tendre vers la démocratie implique un ensemble de mécanismes, de changements de comportements et de mentalités qui ne naissent pas du néant. Cela implique un effort social et une réorganisation de l’ensemble des rapports des individus avec l’État et entre eux. Ceci, depuis le renversement de la dictature, n’est plus à l’ordre du jour. On a des discours pour discourir politiquement et non pour construire une société politique capable de résister aux volontés individuelles et singulières des individus. Ce qui est lié en partie à la conception de la corruption chez Rousseau, c’est-à-dire les intérêts individuels phagocytent les intérêts collectifs. L’individu devient la figure pour penser la politique. Le collectif se laisse noyer en créant les conditions d’extérioriser sa pauvreté. La pauvreté de l’autre ou la misère de la masse est une création de l’autre. L’autre compris comme un moi qui n’est pas moi.

Cette façon de faire de la politique fait apparaître sur la scène politique, une figure. Ce sont les artistes. Il y a les artistes et les artistes construits. En général, ils sont tous des artistes. Être artiste en Haïti, c’est être capable d’attirer l’attention. Être artiste, c’est avoir une richesse qu’est l’attention dans le sens de Daniel Innerarity[3]. L’attention devient moyen d’accaparer le pouvoir. Ce que fait l’attention c’est qu’il attire les visages vers un modèle construit. Un acteur hors du commun. Toutefois, cette façon d’attirer l’attention dans le sens haïtien, se construit au détriment de l’homme et du genre humain. L’attention se construit sur le compte du peuple pour soi-même et non pour le collectif. L’attention est l’attention de l’acteur pour accaparer le pouvoir. L’artiste devient le choix du peuple contre les élites intellectuelles. Car selon le discours en vigueur, les élites sont échouées sur la scène politique. Toute possibilité de repenser la politique se fait par sa prise en charge par les artistes. Ce qu’on constate depuis des années en Haïti. Le discours le plus creux qui valide cette posture est : « ann bay yon vagabon dirije peyi a, twòp moun serye pa regle anyen». Cela témoigne d’un mépris plus qu’évident des intellectuels ou élites intellectuelles. Toutefois, le concept intellectuel n’est pas bien défini dans la réalité en Haïti. Qui sont vraiment des intellectuels ? Les intellectuels ont-ils eu la chance de diriger le pays ? Quelles sont les conditions qui ont conduit l’échec des intellectuels au pouvoir dans le cas où ils seraient réellement au pouvoir ? Autant de questions qu’on pourrait poser pour comprendre la validité empirique et contextuelle du discours en vogue dans la société.

Il faut noter aussi en dépit du discours, il y a une réalité à considérer, la construction d’un État de droit reste à questionner en Haïti. La société se plaint de son image. Elle ne peut plus se regarder. Tout regard du présent est constat de catastrophes. Le futur est menaçant. Le destin de l’homme haïtien est compromettant. La vie de l’homme est une vie en dehors du seuil de vie. La précarisation des formes de vie se multiplie. Les élites ne sont pas à la hauteur d’une potentielle civilisation des mœurs. Les créoles se construisent contre les bossales pour reprendre l’idée globale du discours des sciences sociales en Haïti. La vie politique se voit et s’analyse selon l’opposition des élites et de la masse. Et les artistes se construisent comme catégorie mitoyenne entre les élites la masse pour sauver la société. Finalement, notre misère s’amplifie. La politique se réduit au vide. Le vide du politique devient domaine définition de la société du quotidien. La société existe par son quotidien.

Le peuple se détruit par son appropriation des modèles de starification comme moyen de se représenter : Permanence du phénomène Muscadin

L’État a l’obligation en plus de protéger les vies et les biens de fournir les services sociaux de base. En l’absence de ce socle crée du vide. Un vide construit et bien entretenu. L’État devient tout sauf un État. Un État n’a plus sa raison d’être s’il ne parvient pas à assurer les services de base. De plus, quand l’organisation même de l’État est la corruption incarnée dans le sens de la corruption comme perception sociale et corruption comme victimisation, le peuple fait la politique par la visibilité de sa précarisation. Nulle politique prétendant à construire un sujet précaire ne peut être stable et constructive. La vraie politique tendant à de-précariser les précaires est celle qui tend à reconfigurer l’État. Or dans le cas qui nous intéresse, la montée des artistes ou la construction des stars ne vise pas à reconfigurer l’État mais à critiquer l’état de l’État pour détenir le pouvoir. En ce sens, le peuple se prend dans ses propres pièges en donnant l’attention politique aux artistes. L’artiste n’a d’autres ambitions que d’être toujours présent sur la scène. La scène de l’artiste est la scène d’une intériorisation de sa parole par un public soumis. L’artiste est seul maitre. Sa politique n’est que son reflet. Donc, en essayant de se donner comme leader politique, les artistes, le peuple ne fait que miner la politique. Donc, la réduire à un rien. Finalement, miner la politique est aussi détruire le peuple. Car à mon sens, la politique qui porte vérité est la politique capable de construire le peuple comme acteur incontournable. Et Cela se construit par le peuple lui- même.

Se laissant emporté par les discours des artistes, c’est -à -dire une critique de l’état de l’État visant à détenir le pouvoir, le peuple se met moralement en opposition à soi. La représentation du peuple par les artistes construit un non -lieu de la politique faisant du peuple, un non- sujet mais une victime. D’où l’intérêt à repenser la politique dans son ensemble en Haïti pour construire une société de droit et une société politique capable d’assumer son destin.

En guise de conclusion : Enjeux de la question

La question de starification produit des figures controversées parfois construit une relation à soi contradictoire. On endosse ce qu’on demande aux proches de ne pas faire. On construit dans la réalité une vie partagée en plusieurs scènes. En politique, on est guidé par une morale et aussi de la famille, une morale contredisant la version politique. Donc, il y a du coup une séparation de la vie publique de la vie privée. Ceci n’est qu’un effet de la starification. Elle nous met aussi dans une posture où les principes guidant la société ne sont pas de mise[4]. Par exemple, le phénomène Muscadin divise la société en plusieurs catégories : la première catégorie questionne l’intérêt de parler de droits de l’homme dans le cas de criminels, ce qui implique du coup , le criminel n’a pas de droits ; la deuxième catégorie soutient  la position proche de la première considérant que la société peut prendre sa revanche en tuant un criminel pour qui tuer est une seconde nature et la troisième catégorie qui considère que les  droits de l’homme sont le fondement d’un État de droit et surtout en démocratie , la construction d’un État de droit doit passer par le respect des droits de la personne. Se basant sur ce qui passe avec Muscadin, on est dans un débat dont le but est de repenser les valeurs de la République. La République est -elle fondée sur des valeurs ou principes ou sur les volontés singulières ou personnelles ? Le cas de Muscadin constitue à cet effet, un mauvais précèdent qui remet en question la vie et sa portée humanitaire. Le droit à la vie est une condition d’une volonté. Elle n’est pas requise pour une catégorie. À noter être criminel n’implique pas l’irrespect d’un droit. Cela peut impliquer une restriction de la jouissance d’un droit à un moment donné. Décider sur la vie sans les principes fondamentaux de la société constitue un état où la loi devient un chiffon de papier. Qui pis est, quand celui qui devrait faire respecter la loi devient celui qui l’abolit dans ses actes. Ce qui détruit la société de son vivant.

Une société qui ne garantit les droits des uns et des autres, est une société revenir à l’État de nature dans le sens de Hobbs. C’est le tout contre tous. Et cette société est appelée à disparaître. Comment prétendre à un droit des animaux dans une société où les droits des hommes qui devraient assurer ceux des animaux ne sont pas respectés ?  Que faire dans une société quand la loi et le respect de la vie ne constituent pas des conditions de sociabilité ?

Or, une société en devenir démocratique doit assurer et protéger la vie. Quand la vie n’est pas protégée, la politique de la mort prévaut et instaure la jungle. Il semble que seul le plus fort sera sauvé. Le phénomène Muscadin nous renseigne déjà sur le fait que la force, quoique éphémère doit prévaloir envers et contre tous. Une société fondée exclusivement sur la force devient une société d’injustice et d’illégalité. Ce qui en gros, est préjudiciable à la vie. En ce sens, refonder l’État doit impliquer une responsabilité de la société à la vie. La vie doit être protégée dans la société. Le phénomène Muscadin, nous dévie de toute espérance de vie. Il instaure dans la société une psychologie de l’instinct. Ce qui a été déjà présent avec le kidnapping et l’insécurité en Haïti. Le phénomène Muscadin et les gangs armés ont les mêmes effets en matière de vie et de survie de la population.

Notes

[1] La starification est analysée comme mode de présence sur la scène politique. En ce sens, être artiste c’est s’approprier de la scène de la politique. C’est en ce sens que Claude Joseph utilise la scène politique pour attirer l’attention. En effet, l’artiste utilise toujours des subterfuges pour se donner visibilité. Comme possibilités d’existence sur la scène, l’artiste utilise la mort d’un ami, d’un leader politique, la misère de l’autre pour être présent. Les médias sociaux et les radios populaires sont lieux de productions des artistes.  Un des éléments qui facilite son sa visibilité c’est sa présence les médias. En ce sens, pour assurer sa présence dans les médias, l’artiste crée les faits et formate les circonstances.

[2] J’appelle phénomène Muscadin, la tension qui prévaut à la suite de l’assassinat d’un prétend criminel par le commissaire Jean Ernst Muscadin et les réactions des individus construisant le phénomène comme normal. La société où la revanche est un droit. Donc, la société de l’effet de force.

[3] Innerarity, Daniel. 2009. Éthique de l’hospitalité. Québec : Presses de l’Université Laval ; 2012. La société invisible. Québec : Presses de l’Université Laval

[4] Quand je dis les principes ne sont pas de mise, je veux faire comprendre que la société en général ne reconnait pas les droits de l’homme. L’État, les acteurs et la population sont pratiquement en dehors de l’esprit et la réalité d’un État de droit.

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